[Dossier] Les Jeux olympiques à Villeneuve d’Ascq – 3e partie – Marcel Dumoulin

Né le 16 janvier 1905 à Villeneuve d’Ascq (rue d’Hem à Flers Breucq). Il y habitait encore en 1921. Il est parti peu après à Roubaix. 

Marié le 18 août 1928 à Villeneuve d’Ascq avec Clémentine Corbet (née le 26 juillet 1910 rue La Bruyère à Flers Breucq).

Décédé le 30 juin 1981 à Roubaix.

À sa naissance Marcel Dumoulin est un beau bébé. Il pèse plus de 6 kg. Malheureusement sa mère décède lors de son accouchement. Son père, Adolphe, était réputé pour ses qualités de musicien et sa force herculéenne. Adolphe Dumoulin participait d’ailleurs avant la première guerre mondiale aux concours des garçons brasseurs qui consistaient à porter des fûts de bière sur une certaine distance. Adolphe a porté une rondelle de bière de 230 kg sur un parcours de 200 mètres.

Marcel Dumoulin est un enfant turbulent qui se bagarre beaucoup. Très jeune, il est envoyé en pension à Orroir (Belgique). Il devient très vite un chef de bande qui gagne toujours à la “petite guerre”. Pendant les vacances scolaires, il revient à Flers et passe son temps sur les terrains du golf du Sart comme caddie.

Adolescent, il pratique la gymnastique à “La Patriote” de Croix. Un de ses entraineurs n’est autre que Gustave Sandras. Après quelques saisons de pratique, il arrête ce sport à l’occasion d’un dernier concours avec “La Patriote” à Marseille.

À 16 ans il a pris du poids et se dirige alors en cachette vers la boxe. Il est talentueux et ses 3 premiers matchs sont gagnés par knock-out au 2e round. Mais son père ne veut pas que son fils pratique ce sport qu’il juge trop dangereux. Marcel se dirige alors vers l’haltérophilie.

Sa force naturelle et des années de gymnastique l’aident à progresser très vite dans ce sport. Il est dans la catégorie mi-lourd (80 kg). Il remporte son premier titre de champion du Nord en 1924 à l’âge de 19 ans avec : 90 kg au développé, 100 kg à l’arraché et 120 kg à l’épaulé-jeté. À cette époque il joue encore tous les dimanches au football avec le club de Flers Breucq (peut-être l’Idéal Club du Sart ou une section de l’Amicale). Mais c’est l’haltérophilie qui l’attire et il arrête le football. À 20 ans, il part à Joinville puis à Arras. Il montre ses grandes qualités au concours de l’athlète complet du corps d’armée. En mai 1926, c’est “la quille”. Il rentre dans son club de Roubaix et bat plusieurs fois le record du Nord. Il devient pour la première fois champion de France et rêve d’être sélectionné pour les Jeux olympiques d’Amsterdam de 1928.

Il y avait encore du travail mais tout se présente bien pour lui. Lors d’une rencontre Nord/Paris, Marcel Dumoulin accomplit son premier exploit sportif. Il fait partie de l’équipe du Nord de poids et haltères avec Léon Vandeputte, et alors que l’équipe du Nord est en passe de se faire battre par Paris, Marcel monte sur le plateau. À son troisième essai il soulève 140 kg et bat à nouveau le record du Nord et donne la victoire à la sélection nordiste.

En 1927, Marcel Dumoulin décroche sa première sélection en équipe de France contre l’Allemagne. Malheureusement il ne peut lutter contre un certain Strasberger qui pèse plus de 30 kg de plus que lui. Cet athlète allemand sera longtemps “la bête noire” de Marcel. En 1928, il est à nouveau champion du Nord et à nouveau champion de France. Ce titre lui ouvre la voie vers les Jeux olympiques d’Amsterdam. Ces Jeux se déroulent du 28 juillet au 12 août 1928. La cérémonie d’ouverture a lieu dans le stade Olympique devant 40 000 spectateurs. C’est la première fois que la flamme Olympique est allumée pour la durée des Jeux. 2883 athlètes pour 46 Nations participeront aux 109 épreuves dans 14 sports différents. La première participation féminine constitue une avancée importante lors de ces jeux. Elles seront 277 à concourir. Pour sa première expérience Olympique, Marcel Dumoulin termine 10e et réalise un total de 327,500 kg (92,5 kg en développé, 100 kg à l’arraché et 135 kg à l’épaulé-jeté).

À son retour des Jeux, Marcel se marie à Flers le 18 août 1928 avec Clémentine Corbet.

La vie sportive reprend son cours habituel. Marcel Dumoulin rencontre en 1929 l’Italien Tomani qui a été champion Olympique aux Jeux de Paris de 1924. La rencontre se réalise en 5 mouvements (on ajoute aux mouvements habituels, l’arraché du bras droit et l’arraché du bras gauche). L’Italien est grand favori. Pourtant Marcel remporte cette rencontre avec un total des 5 mouvements de 535 kg contre 495 kg pour l’Italien. En 1929 ont eu lieu plusieurs rencontres internationales contre la Belgique, Les Pays-Bas, l’Autriche, l’Italie avec autant de victoires. Seule l’Allemagne résiste à l’équipe de France avec son leader, Strasberger. Les années 1930 et 1931 voient les mêmes rencontres internationales avec les mêmes jeux.

En 1932 Marcel Dumoulin est chauffeur de camion et malgré ses 10h à 14h de travail au quotidien, il s’entraine avec sa barre aux moments de pause dans son camion. Il soulève ainsi 4 à 5 tonnes par jour. Il obtient une deuxième sélection Olympique pour les Jeux de 1932 à Los Angeles lors d’un tournoi à Paris en réalisant ses performances habituelles. Des tournois de préparation auront lieu à travers la France. Lors d’une démonstratoin à Troyes, les haltérophiles sont à l’étage d’une salle des fêtes. Marcel soulève sa barre mais la laisse retomber un peu fortement. Le plafond de la salle de mariage du rez-de-chaussée s’est décroché et le mariage a dû être momentanément suspendu.

Pour l’aider à se rendre en Amérique avec l’équipe de France, la ville de Roubaix lui octroie un subside de l’ordre de 1 000 francs de l’époque. Le voyage se fait en bateau sur le “La Fayette”. Pendant le voyage Marcel réalise chaque soir des barres humaines. À l’arrivée à New York, cinq jours de trains avec étapes sont nécessaires pour rallier Los Angeles. À chaque étape, les Américains mettent des installations à la disposition des Français pour assurer les entrainements et organisent des visites (à la Maison Blanche, l’Ambassade de France, les studios d’Hollywood…) À Los Angeles, le camp des Français est installé sur une colline à 15 km d’Hollywood. Les athlètes sont regroupés dans un village olympique. Les derniers jours de préparation se passent bien dans une salle de sport “le Celtic”. Il fait très chaud. Marcel Dumoulin souffre d’un gros coup de chaleur et de forts coups de soleil sur les épaules. Malgré ça il participe avec beaucoup d’émotion au défilé d’ouverture devant 100 000 spectateurs.

Comme il le dit : “Les impressions ressenties en de pareils moments sont tellement complexes que je ne trouve qu’un mot pour les résumer : ÉMOTION”. Le défilé est suivi d’un lâcher de 50 000 pigeons. Enfin la flamme Olympique s’allume pour la durée des Jeux qui commencent le  30 juillet et vont se terminer le 14 août 1932. 1300 athlètes représentant 37 pays participeront aux épreuves. C’est à l’occasion de ces Jeux que le podium pour les récompenses sera installé pour la première fois. L’haltérophilie fait partie des premières épreuves. Marcel Dumoulin est handicapé par les coups de soleil, ses épaules lui font mal et il a 40°C de fièvre. Malgré cela il termine à la 4e place. L’équipe de France d’haltérophilie obtient 3 médailles d’or et 2 quatrièmes places. Les épreuves d’haltérophilie s’étant déroulées au début du programme des Jeux, Marcel Dumoulin et ses partenaires ont pu encourager leurs collègues de l’équipe de France mais aussi réaliser des randonnées, rencontrer les stars du cinéma américain. Au retour, la traversée de l’Atlantique se fait sur le “Champlain”. Après un accueil chaleureux des athlètes au Havre, à Paris et à Roubaix, c’est le retour à la vie normale. Marcel retrouve son camion 3 mois et demi après l’avoir quitté. 

Après avoir récupéré, Marcel Dumoulin reprend les rencontres internationales avec l’équipe de France. En 1933 il tente de battre le record du Monde de l’arraché détenu par Rigoulot avec 101 kg. Marcel demande 101,500 kg et soulève cette barre. Il est heureux et croit avoir battu le Record du monde. Mais la barre est repesée : une erreur est constatée et il ne fait qu’égaler le Record du monde de Rigoulot. Un peu plus tard au championnat d’Europe, Marcel mal préparé, ne se classe que 6e.

En 1934 il est à nouveau champion de France. Il bat le record de France de l’arraché à gauche avec 87,500 kg. Il sera également champion d’Angleterre en présence du Prince de Galles en battant l’Anglais Walcker. Il battra le champion de Belgique Panen. Puis aux rencontres internationales et le championnat d’Europe de 1935, Marcel bien préparé, réalise sa meilleure performance à l’épaulé-jeté avec 150 kg. Ce ne sera hélas pas suffisant et il se classe 4e du championnat. Malgré sa rapidité et sa vivacité, Marcel Dumoulin sera toujours handicapé par son poids plus léger que celui de ses adversaires même s’il évolue dans les lourds. Dès 1935, Marcel est sélectionné pour les Jeux Olympiques de 1936 de Berlin. Peu avant les Jeux, Marcel est à nouveau champion du Nord avec 355 kg en 3 mouvements. Puis il sera champion de France pour la huitième fois.

Les Jeux de Berlin se déroulent du 1er au 16 août 1936. Le camp des Français se situe à 30 km de Berlin. Le défilé d’ouverture se déroule devant 120 000 spectateurs. Adolphe Hitler souhaite rencontrer les poids lourds de l’haltérophilie. Marcel Dumoulin fait partie de la délégation. Même s’il voit le Fûhrer et entend son discours, il n’en comprend pas un mot. Le champion allemand Manger, mis à l’honneur est mis sous pression avant les épreuves. 

Lors de l’épreuve, Marcel Dumoulin se sent fatigué. Diminué il rate ses mouvements. et se classe 10e de la compétition avec 355 kg de total. Pour lui c’est un échec, même s’il réalise une meilleure performance que lors de sa 4e place à Los Angeles en 1932.

De retour à Roubaix, il retrouve la conduite de son camion de livraison.

En 1936 Marcel Dumoulin faisait partie de la section d’haltérophilie de l’Amicale Laïque de Flers Breucq. Cette section créée en 1933 disparaitra avant la deuxième guerre mondiale.

Au printemps 1937, Marcel Dumoulin arrête sa carrière d’haltérophile. Il reprend le gymnase de la rue Jeanne d’Arc à Roubaix et le débit de boissons attenant. Il devient aussi le président de l’Union Roubaisienne des Sports Athlétiques.

Le palmarès de Marcel Dumoulin est éloquent : de multiples titres de champion du Nord, 10 titres de champion de France, de nombreuses sélections internationales avec l’équipe de France, 2 titres de champion d’Angleterre, 2 titres de champion de Belgique, 1 record du Monde égalé, 3 Jeux Olympiques (Amsterdam, Los Angeles, Berlin). Il a aussi réalisé 100 kg à l’arraché d’un bras. Après cette belle carrière, Marcel ne s’écarte pas du sport. Il reste président de son club et deviendra conseiller technique pour les poids et haltères. La guerre déclarée, il est mobilisé à 34 ans et affecté comme chauffeur de camion au train des équipages. En convoi il parcourt des distances importantes sur des routes dangereuses. Son convoi est bombardé à Bar-le-Duc. Ejecté de son camion par le souffle, il est blessé sans gravité. Après la campagne de Belgique c’est le “repli stratégique” vers Condom dans le Gers. Détaché aux sports, il organise alors avec le champion cycliste Jean Marechal de nombreuses rencontres sportives au profit des prisonniers. À la fin de la guerre, il est démobilisé et rentre à Roubaix. Il relance sa salle de sport, son café et le club (URSA). C’est à ce moment qu’il revoit son ami Léon Vandeputte, le président du comité des Flandres des poids et haltères. Ce dernier, très occupé par ses responsabilités professionnelles, demande à Marcel de reprendre la présidence du comité des Flandres. Mais les activités sportives lui manquent. 

Il se lance dans le catch et fait partie d’une troupe. Il participe à des galas à Londres, Vienne Bordeaux, Liège et Lille. Mais ce n’est pas son “monde.” Il arrête définitivement ce sport. Il consacre son temps à sa salle, son club et au Comité des Flandres où, avec ses amis (Léon Vandeputte, Georges Grisagelle, Jules Dejonghe, Léon Renar, Edouard Sannier, Charles Pacôme), il essaie de relancer des jeunes dans l’haltérophilie. Mais après la guerre ce sport rebute. Marcel Dumoulin restera longtemps président et entraineur du club de Roubaix. On le retrouve en 1954 entraineur d’un junior de son club, R. Maier. Ce jeune, toujours entrainé par Marcel, sera plusieurs fois champion de France séniors et finaliste aux Jeux olympiques de Rome. L’haltérophilie et le club de Roubaix feront toujours partie de la vie de Marcel Dumoulin jusqu’à son décès en 1981. Pour conclure cet article, voici ce qu’il disait en 1947 sur le sport haltérophile : “Loin d’être banal et simple, le sport haltérophile procède, au contraire, d’une technique subtile et d’une science approfondie. Ses adeptes ne sont pas simplement des hommes forts (la force est une chose, le sport en est une autre), ils sont mieux encore, ce sont des athlètes auxquels s’adapte parfaitement la belle devise Olympique : ESPRIT, FORCE, INTELLIGENCE.”

René Beugin

Sources : Gallica.bnf.f/BnF : Le grand Echo du Nord de la France – Les Sports du Nord – Sports Eclair – Archives de la mairie de Roubaix. Remerciements : Bernard Delvart, Société Historique de Villeneuve d’Ascq – Amicale Laïque de Flers Breucq.